Les chemins polyphoniques de Najah Zarbout

Texte de Hatem Bourial, paru le 23 mai 2021 dans LE TEMPS
Du 7 mai au 30 juin, le Fonds régional d’art contemporain de Corse accueille l’exposition « Entre plis et chemins » de Najah Zarbout. Des œuvres originales sur l’insularité et les migrations. Par-delà les similitudes et les différences, l’artiste tunisienne Najah Zarbout instaure un dialogue entre les îles de Kerkennah et celles de Corse. C’est le vent qui constitue l’un des dénominateurs communs entre les deux sites méditerranéens, un vent qui souffle souvent et dont l’artiste cherche la matérialisation et à tout le moins la présence. Entre Kerkennah et la Corse Car si la Corse est montagneuse, le relief de Kerkennah d’où est originaire Zarbout, est plutôt plat. De même, les deux îles différent par bien d’autres aspects mais demeurent reliées par leur insularité même. « Entre plis et chemins » est né de cette mise en regard de deux univers mais aussi du désir de l’artiste de plaider la cause des migrants. C’était en 2016, au large des îles Kerkennah d’où ils étaient partis vers l’Europe, une centaine de migrants trouvaient la mort dans un naufrage aussi tragique que prévisible. Najah Zarbout gardera de ce drame humain une amertume qui ne la quittera plus et évoluera en une empathie profonde avec la situation des migrants. Ce plaidoyer existe en filigrane dans les œuvres exposées. Non seulement, il est le fil d’Ariane de l’exposition mais il partage ce statut avec le vent, cet autre vecteur que l’artiste déploie entre les plis et replis des chemins qu’elle arpente. En langue arabe, le titre de l’exposition est un lapidaire « Thanaya » qui signifie « chemins » mais désigne aussi l’action de plier. Bien sûr, le terme est polysémique car il s’agit autant des routes, pistes et voies maritimes qu’on emprunte que des chemins qui mènent vers le savoir ou la connaissance de soi. De plus, ces chemins métaphoriques peuvent ne mener nulle part ou être brutalement interrompus. L’artiste se place d’une certaine manière à la croisée des chemins et investit les venelles de sens et les voies passantes qu’elle rencontre y compris le sillage des esquifs virtuels qui relient symboliquement la Corse à l’archipel des Kerkennah. Comme le souligne Sirine Abdelhedi, commissaire de l’exposition, « Thanaya : entre plis et chemins » de Najah Zarbout propose un regard engagé sur l’existence humaine. Le mot « thanaya » en arabe signifie à la fois des plis et des chemins et nous met sur la piste d’une aventure dans la profondeur de la surface.À travers le dessin, l’installation et la vidéo, l’artiste questionne le concept de l’altérité, la thématique de l’île et les préoccupations écologiques qui sont fortement conditionnés par la géopolitique, l’économie et la nature. En plus d’être exprimés dans le travail de l’artiste, tous ces éléments de réflexion alimentent le récit de l’exposition ».Insularité, Méditerranée et migrations Dans son texte curatorial, Sirine Abdelhedi ajoute que « ce voyage de Kerkennah à la Corse est lui-même un chemin particulier à mettre en avant. Les deux territoires partagent des points communs à savoir, l’insularité et la méditerranéité en particulier. En étudiant son héritage insulaire et toutes les histoires souvent de tradition orale qui lui sont associées, l’artiste invite le spectateur à un voyage imaginaire dans la mémoire ». La commissaire de l’exposition conclut en constatant que cette exposition de Najah Zarbout « raconte des histoires en porosité avec les urgences auxquelles nos sociétés doivent faire face. C’est une invitation à s’interroger sur le statu quo, mais surtout, une invitation au rêve ».Ces mots résument bien l’esprit et la démarche de cette exposition organisée dans le cadre de « Saison Africa 2020 » au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) en Corse du 7 mai au 30 juin.Dirigé par Anne Alessandri, le Frac Corse est installé à Corte dans l’île de Beauté et héberge pour deux mois les œuvres d’une artiste tunisienne prometteuse dont les œuvres sont exposées dans le cadre d’un Focus Femmes développée dans cette saison africaine. Un souhait pour terminer : l’exposition « Thanaya » pourrait prendre après juin, les chemins de la Tunisie vers Kerkennah ou ailleurs, pour que les publics locaux puissent à leur tour s’imprégner des oeuvres polyphoniques de Najah Zarbout.